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Quitter la mer en septembre …

par Marie-José Sibille

publié dans Le quotidien - c'est pas banal ... , La psychothérapie - de quoi ça parle

Quitter la mer en septembre …

Séparation ou Rupture, les fins possibles du lien

Rupture, brisure, déchirement. Cassure, scission, sécession. Divorce, arrachement. Guerre, discorde, division. Jusqu’à la mort, la perte irrémédiable et jamais consolée.

Ils sont nombreux les mots parlant de l’aspect douloureux voire tragique de la séparation.

Et il est vrai que si nous faisons le point dans nos vies, combien de séparations définitives avons-nous vécues positivement ? En amour ? En famille ? Dans le travail ?

Pourtant le mot « séparer » vient de « faire naître ». La même racine a donné « sevrer ». Pourquoi alors ce processus si beau qui consiste à accepter de quitter le ventre de la mère pour devenir un être « à part », comme nous l’indique l’autre racine du mot, devient-il source de tant de drames ?

Comme si nous avions gardé en nous l’empreinte de la terreur du bébé face à la séparation première, celle de l’abandon possible.

Comme si cette séparation première était anticipation de la séparation dernière, celle de la mort.

La perte douce du lien est pourtant possible avec les morts. Cela se nomme le processus de deuil quand il s’accomplit. Il est déjà rare. Combien de deuils sans parole, ou pris dans la violence d’une fin tragique ? Pourtant j’en rencontre parfois de ces personnes devenues plus riches de leurs morts, sans qu’il soit ici question d’héritage.

Le même processus est très difficile avec les vivants.

Combien de séparations définitives pouvons-nous ne pas nommer ruptures ? Combien de séparations amoureuses dans le dialogue et le partage ? Combien où nous nous sommes dit : « tout est dit, tout est consommé, je peux partir sans haine et sans regret ».

Et les séparations d’avec nos parents, comment nous ont-elles permis de nous sentir grandi, soutenu, inspiré ? Combien où nous nous sommes senti lâché, abandonné, oublié peut-être ? La maman louve mordille les fesses de ses petits pour les pousser à prendre leur envol, non plus hors de son ventre, mais hors du ventre de la meute. Acceptons-nous toujours, de l’autre côté du lien de filiation, d’aider nos enfants à partir ? Ou les gardons-nous encore un peu pour qu’ils nous tiennent chaud en hiver, quitte à se plaindre ensuite de leur manque d’autonomie ? Ou les abandonnons-nous d'un seul coup, dans l'adolescence ou dans l'âge adulte, pour ne pas avoir à souffrir, nous-mêmes, de les voir s'en aller ?

Pourtant, nous avons tous en nous une image qui nous parle de la séparation, jusqu'à celle ultime de la mort, comme d’un processus naturel, comme d’une fin possible sans rupture, comme d’un accomplissement du lien.

Et d'une promesse de réunion, ailleurs, autrement. Différents.

Cette image s’enracine dans nos moments premiers.

L’attachement est cette idée sensible qui nous parle des premiers instants de vie, de notre naissance, de la chute hors du ventre de notre mère, de l'accueil dans ses bras, dans des bras en tous cas, des bras qui nous ont transmis le monde. Le même attachement se rejoue et se recrée à chaque lien nouveau ou renouvelé. Le même attachement, enfin, nous parle aussi de nos derniers moments et du comment mourir.

L’une de ces images ressource est pour moi celle de la mer en septembre, l'image de l’océan que je quitte, bouillonnant ou étal, dans la lumière chaude de la fin de l’après-midi.

C’était hier.

C’était toujours.

Mon corps encore baigné de cette énergie du lien, je sais que maintenant je suis seule, séparée de cette source.

Séparée de ce lien-là, je dois traverser les jours sans la revoir, la mer. Elle est en moi pourtant. Mélange de nostalgie profonde et de bonheur accompli. Images ancrées dans ma mémoire. Sensations inscrites dans ma chair. Emotions nourrissant ma créativité.

Et c’est peut-être le premier signe d’une séparation réussie d’en ressortir plus fort, comme si le lien à l’autre faisait partie de moi. Comme si l’autre, loin de me retenir, m’autorisait à partir, marée qui retient, marée qui entraîne au large, ou marée qui pousse vers la plage, la mer est encore là.

Quitter la mer en septembre c’est un peu mourir. Mais c’est une mort douce, comme un drap de soie qui glisse sur la peau en nous laissant partir vers une nouvelle journée pleine de projets et de promesses. Je pars, car la journée m'appelle, mais je porte la mer en moi. Je la porte à travers tous ces moments où je l'ai quittée sans savoir si je la reverrai un jour, rien ne garantit jamais le retour possible.

Je la porte en moi depuis toujours.

Car toutes les fins possibles nous parlent d’enfance.

C’est rassurant.

Comme si le lien se retissait sans cesse, comme si le temps était vraiment cyclique. 

Comme si après l’hiver, le printemps, jusqu’au bout.

 

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