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Victimes de viol et de violence sexuelles : pourquoi il faut abolir le délai de prescription

par Marie-José Sibille

publié dans Alterégales

Victimes de viol et de violence sexuelles : pourquoi il faut abolir le délai de prescription

 

L'amnésie post-traumatique existe bel et bien, même si elle est difficile à imaginer dans nos existences souvent bordées d'habitudes rassurantes et de souvenirs que nous voudrions rangés par année dans des albums photos agréables à feuilleter. Elle a dû se frayer un passage à travers les fantasmes collectifs des "faux souvenirs", parfois réels d’ailleurs, fantasmes très vendeurs bien relayés par les médias. L’amnésie post-traumatique consiste à faire disparaître de la mémoire un souvenir trop douloureux, et ce pour pouvoir survivre. Le souvenir peut disparaître complétement, c'est possible, tout en laissant une trace dans le corps qui était présent, et qui a sa propre mémoire. Il peut aussi disparaître temporairement et revenir à la conscience en  psychothérapie, en particulier avec des méthodes comme l'EMDR ou l'Hypnose mais pas seulement, la confiance acquise dans la relation peut aussi arriver à ce résultat avec moins de risques de retraumatisation dans l'après-coup de la séance. Mais il peut aussi réapparaître suite à un élément déclencheur, un évènement ou une relation, qui va permettre à la personne de raviver sa mémoire. Il y a de fortes chances qu'elle banalise et minimise aussitôt ce souvenir, voire qu'elle le considère elle-même comme faux et inventé, si aucune parole extérieure, aucune relation suffisamment sécurisante et empathique, ne vient la soutenir dans la gravité du fait et lui permettre de relier les périodes de sa vie en créant de la continuité et de la cohérence dans son histoire. 

Cette amnésie post-traumatique partielle ou totale concerne nombre de personnes ayant subi des violences sexuelles. Si le viol est surtout commis par des hommes sur des femmes, l'inceste et les violences sexuelles sur les enfants permettent aux petits garçons de presque rattraper les petites filles. C'est ainsi qu'en France un homme sur six et une femme sur quatre subiront dans leur vie une violence sexuelle.

Avec des différences notables, tant dans l’intensité de la violence que dans sa répétition, parfois sur des années.

Dans cette échelle de violence subie, chaque barreau est une nouvelle étape vers la honte de soi et l'autodestruction.

Car une des caractéristiques perverses de la violence sexuelle, c’est qu’elle est souvent perçue comme liée à la victime, et cela même par "les autorités", même si les progrès sont indéniables dans les dernières années.  Mais il n'empêche qu'aujourd'hui, dans la cour du lycée voire du collège, quand une jeune fille se détruit par l'alcool et la cigarette, s'habille de manière provocante et couche avec n'importe qui, le premier réflexe n'est pas de penser qu'elle a subi de graves abus. Elle sera stigmatisée par ses pairs comme "la chaudasse" de service, terme moderne des cours de récréation - oui -  pour ce que l'on appelait avant "une fille facile". Non seulement cela existe encore, mais de plus en plus depuis quelques années, "grâce" aux réseaux sociaux et à l'espace hors la loi que peut être Internet. La pression qui règne aujourd'hui sur les jeunes est immense. Et les éducateurs voire même les psys n'auront pas forcément le réflexe de penser "agression sexuelle". Voire même pourront penser que c'est "une excuse facile" ou "un mensonge pour justifier son comportement". Et ce si jamais la jeune fille arrive à en parler, ce qui est peu probable. Les garçons n'ont pas ce problème, la multiplication des partenaires leur donnant encore de nos jours une aura positif de mâle dominant du troupeau.

Mais chez toutes les victimes, filles comme garçons, se développeront sans doute la dépression chronique et les addictions de toutes sortes, le repli sur soi et la perte de contact avec les émotions et les sensations, mais aussi l'amnésie chronique, c'est-à-dire l'incapacité à se souvenir d'une émotion ressentie la veille, suite à un film par exemple, ou dans une séance de thérapie. Elles pourront aussi essayer de se réparer en adhérant à des relations d'emprise, qu'elles soient amoureuses, professionnelles ou dans le cadre de groupes sociaux, politiques, ou religieux, voire même dans le lieu d’une relation thérapeutique.

La contamination de la victime par la violence de son agresseur est la base du développement de la honte et de son incapacité de parler . C’est une des grandes caractéristiques des agressions sexuelles et une des clés thérapeutiques pour accompagner les victimes, surtout celles qui ont vécu dans le mutisme ou le déni pendant des années, pendant des décennies. Si elles arrivent un jour à parler, ce ne sera sûrement pas à un professionnel qui les regardera de haut derrière son bureau en se disant "encore une trentenaire-quarantenaire-cinquantenaire dépressive et malheureuse dans son couple ", si ce n'est pire, et pour un homme, "encore un petit garçon qui n'a pas réussi à s'affirmer face à Papa ou à sortir des jupes de Maman". Ce discours n'a pas disparu. Et les retraumatisations sont nombreuses dans les situations d'abus sexuels, la relation thérapeutique devenant une répétition de plus, une relation d'emprise supplémentaire, dans laquelle la personne va s'embourber, quels que soient, je le précise, les références universitaires ou non du professionnel. 

Les victimes véritables ne se victimisent pas souvent dans un premier temps. Elles sont plutôt des dur(e)s à cuire de la psychothérapie ou de la relation d'aide. Elles peuvent en arriver à la plainte lancinante de la dépression chronique mais cela met très longtemps. Elles s’exprimeront plutôt dans des troubles bipolaires aux plongées abyssales, dans des burnouts aux conséquences dramatiques sur leur vie familiale et professionnelle, ou encore, par la voie plus acceptable socialement de la maladie, les somatisations chroniques et les douleurs permanentes faisant parfois le lit de maladies plus graves et invalidantes, voire mortelles.

Ce n'est que dans le cadre d'une relation de grande confiance, une relation personnelle d'abord, un partenaire ou un ami intime, puis parfois dans un lieu thérapeutique sécurisant et chaleureux sans être condescendant, que la personne pourra oser se dire, sans se noyer dans la honte et la culpabilité, sans replonger encore plus profondément une fois sortie du lieu thérapeutique. 

C'est dans cette relation contenante et libre à la fois, sans l'ombre d'un jugement possible, que la victime pourra affronter le monstre qui l’a détruite, et peut-être le vaincre enfin.

 

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Accompagner les familles adoptantes : dix erreurs à éviter. Erreur numéro quatre : Inventer une histoire à la place de l’enfant ou de la famille.

par Marie-José Sibille

publié dans La psychothérapie - de quoi ça parle

Accompagner les familles adoptantes : dix erreurs à éviter.

Erreur numéro quatre : Inventer une histoire à la place de l’enfant ou de la famille.

Il est tentant de dire à l’enfant que nous accueillons en thérapie : « ta mère devait t’aimer beaucoup pour te confier à l’adoption », « tes parents, ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour que tu t’en sortes ». Ou à l’inverse : « tu as dû souffrir beaucoup là-bas ». Et « C’est parce que …, que tu as été abandonné(e)/adopté(e) », avec la confusion de langage récurrente entre abandon et adoption, ainsi que, la plupart du temps, l’ignorance et surtout le réductionnisme au sujet des causes possibles d’un abandon. Ou encore : « Mais maintenant tu es sorti d’affaire, tu es tombé sur une bonne famille … ».

Par exemple.

Le réel est impossible à réduire à une équation du premier degré : réalité concrète, comportements visibles, sensations apprises, émotions mises dans la relation, pensée et opinion, langage thérapeutique ou traumatique, empathie et jugement, notre cerveau doit faire avec tous ces éléments pour entrer en contact avec le monde, et, dans le lieu thérapeutique en particulier, avec le monde de l’autre.

La tentation est grande alors de simplifier ce réel, de combler les trous plutôt que d’apprendre à la famille à recoudre et de l’aider à repriser les déchirures de son histoire, avec ce qu’elle sent, avec ce qui est disponible dans sa réalité d’aujourd’hui.

Cette posture consistant à parler pour l’autre jusqu’à lui inventer une histoire, lui « inventer une vie » comme disent les ados, est une manière comme une autre de rester dans une position de pouvoir, dans cette position haute associée encore trop souvent en France à la relation thérapeutique. Elle s’accompagne souvent de conseils et de réponses lapidaires à des questions complexes. Cette attitude « chirurgicale » et interventionniste, qui peut sembler indispensable dans certaines situations, même les médecins urgentistes essaient de la remettre en question, certes, surtout dans les séries américaines !

Cette posture est particulièrement inadaptée en psychothérapie et en relation d’aide. Elle est à oublier, même si parfois, prises dans une habitude relationnelle face à la personne supposée savoir, les personnes ou les familles demandent elles-mêmes des conseils et des réponses simples à leur souffrance, ainsi qu’à être rassurées sur leur histoire ou celle de leur enfant.

Prenons ces demandes conventionnelles et convenues comme une manière de dire « bonjour » dans un lieu où elles n’ont pas encore leurs marques, le lieu thérapeutique.

Répondons par un autre « bonjour », un bonjour qui va ancrer la relation thérapeutique dans la sécurité affective, qui va proposer à la famille de s’appuyer sur le lieu thérapeutique pour développer ses propres ressources, et ce sans avoir besoin d’inventer des histoires, de supposer des faits, de donner des conseils qui sont autant d’aveux d’impuissance, d’apporter des réponses à des questions qui n’ont pas été posées.

Dans la pratique thérapeutique, une méthode appelée « l’Approche narrative »[1] permet de déconstruire les récits qui nous enferment dans des traumatismes passés, dans des comportements basés sur l’insécurité relationnelle apprise dans notre enfance, et trop souvent confirmée par la suite, pour développer des histoires résilientes, des histoires qui nous permettent de reprendre croissance et développement, un peu comme dans « le livre dont vous êtes le héros », ces petits livres amusants qui foisonnaient dans les années 80[2]. Mais dans l’approche narrative, il ne s’agit pas de s’appuyer sur un imaginaire séparé du réel. Au contraire, le thérapeute va partir de la perception qu’à la famille, la personne, et même l’enfant, de son histoire. Le travail consistera à prendre certains éléments de cette histoire pour démarrer un autre scénario, autre scénario rendu possible par un autre regard, une autre interprétation, par exemple d’une situation qui provoque de la honte, ou d’une relation nourrie par la peur. Ainsi la personne va déconstruire les scénarios souffrants, les scénarios qui bloquent son devenir.

Ces histoires, ce ne sont pas seulement les histoires que la personne s’est inventée, ce sont aussi celles que les autres lui ont racontées, les premiers autres étant ses parents. 

En thérapie familiale, ou en thérapie EMDR[3] avec de jeunes voire de très jeunes enfants, c’est le parent qui va être ainsi le porteur du récit, c’est lui qui va aider à construire l’histoire narrative de son enfant. Cela fait partie de son rôle. Le thérapeute sera là pour aider le parent à accoucher de l’histoire, pour l’aider à aller vers un scénario positif, résilient, un récit nourrissant un attachement sécure, tout en restant en contact avec les faits tels qu’ils sont connus ou transmis. Un récit sans trous trop important, avec des reprises et des raccommodages qui ont du sens, un récit qui au fur et à mesure du travail thérapeutique va devenir cohérent, congruent, et présenter une certaine continuité. 

Dans les parties inconnues ou difficiles, le parent pourra dire alors à l’enfant, en thérapie mais aussi à la maison, après avoir travaillé le récit avec le thérapeute : « Je n’étais pas là dans ta vie à ce moment-là, mais si j’avais été là … », « on ne sait pas ce qui s’est passé pour toi à ce moment-là mais quand on voit comme tu es … (nommer une qualité), ça veut dire que tu as pu prendre du bon ». Le cerveau va ainsi construire les liens manquants, faire des ponts, et l’habitude d’un langage positif va se prendre dans la relation familiale, un langage qui nomme les qualités, les compétences mais aussi les habiletés face à la vie, essentielles chez un enfant qui a éventuellement vécu des situations difficiles en dehors de son abandon.

Ce récit positif et résilient va permettre à l’enfant d’habiter sa vie, de développer le sentiment qu’il peut avoir un contrôle sur les évènements et les relations, qu’il peut devenir acteur de son histoire.

Quant au thérapeute, s’il veut tant que ça raconter des histoires, il n’a qu’à devenir écrivain ou griot, ce sont de très beaux métiers aussi …

 

 

 

[1] http://www.lafabriquenarrative.org/blog/approche-narrative

 

[2] Et dont j’apprends avec plaisir la reprise par Gallimard, je crois que je vais craquer pour un …

 

De bons souvenirs ...

De bons souvenirs ...

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