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cette societe - c'est la notre !

De l'utilité des pauvres

par Marie-José SIBILLE

publié dans Cette société - c'est la notre !

Chaque espèce dans la nature a son utilité. Pendant une période déterminée. Des mouches vivent dans les vapeurs du pétrole, des animaux cavernicoles répondent à la lumière comme une star éblouie par les flashs, des oiseaux suréquipés pour le froid fondent au moindre rayon de soleil, et un milliard d’autres merveilles nous entourent. C’était déjà la conclusion de Darwin à la fin de l’Origine des Espèces.

 

Ainsi semble-t-il qu’il faille trouver l’équivalent pour l’espèce humaine.

Il m’est difficile de commencer par la beauté du touriste européen qui part violer des enfants dans des pays d’Asie aux hôtels « tolérants », et plus encore à celles des patrons des agences qui organisent ces voyages ; il m’est impossible de commencer par l’utilité d’un trader psychopathe de moins de trente ans qui d’un clic surexcité, parfois dopé à la cocaïne, parfois même pas besoin, fiche en l’air la vie de mille familles d’un coup, super jeu vidéo.

Alors j’ai commencé par quelque chose de simple, à ma portée, peut-être. A quoi servent les pauvres, et ceux qui vont de paire comme Charybde suit Scylla : les riches ?

La première étape consistait à me situer, car l’observateur fait partie du système qu’il observe, même si cette réalité est loin d’être admise par tous, encore maintenant. Donc sur l’échelle d’évaluation de 1 à 10, celle que l’on utilise dans la perception de la douleur,  ou 1 signifie la plus grande pauvreté que je puisse imaginer et 10 la plus grande richesse, je me situe bien évidemment au chiffre 5.

Ensuite, lors des intenses réflexions motivées par le devoir parental, devoir qui oblige à trouver des réponses à des milliers de questions que l’on ne veut plus se poser une fois adulte, plutôt qu’à renvoyer une baffe ou un grognement, j’ai trouvé que les pauvres servent à, liste non exhaustive :

-       Illustrer les leçons d’éducation civique des classes moyennes : ce n’est plus le clochard à la sortie de la messe des livres de morale de ma grand-mère, plutôt le SDF à la sortie du centre commercial, mais c’est strictement la même chose : «  tu vois Zazie, tu vois Nono », dit papa ou maman, « si tu travailles pas bien à l’école tu finiras comme le monsieur ou la dame là sur le trottoir sous son carton ».

Ce rôle éducatif indispensable, les pauvres le jouent depuis la nuit des temps.

Il faut bien sûr pour cela ne pas aller interroger le monsieur sous son carton, et se rendre compte qu’il a BAC + 5 ou qu’il était chef d’entreprise il y a encore deux ans, comme c’est de plus en plus le cas. Mais nos enfants ne mettent pas en doute nos paroles, dans un premier temps.

-       Ils servent aussi à rassurer les actionnaires quand leur nombre augmente, par le biais du chômage par exemple. Et le sentiment de sécurité semble être la base de tout, chez l’actionnaire comme chez le nourrisson.

-       Ils permettent aussi à ceux qui se définissent encore comme « non pauvres », tout en refusant ou ne pouvant se nommer « riches », de développer un sentiment de compétence, de bien-être ou simplement de soulagement, bref un tas d’émotions sources d’endomorphines antidépressives et anxiolytiques. En plus de la méditation et du jogging, faire un séjour dans un asile de nuit du Secours populaire soutient une bonne psychothérapie, voire la remplace plus efficacement que la « bonne guerre » recommandée par les plus anciens d’entre nous, qui ne sont plus très nombreux, et d’ailleurs à qui ça n’avait finalement pas tant réussi que ça. Les pauvres, contrairement à la guerre, c’est sans risque de dégâts collatéraux ou de syndrome post-traumatique. Pour cela il faudrait que notre empathie soit beaucoup plus développée que ce qu’elle n’est en général.

-       Et justement, voilà une autre utilité des pauvres, qu’ils partagent avec les victimes, les faibles, les malades, les vieillards et les enfants : comme l’ont compris depuis longtemps les ordres religieux, leur contact permet de développer chez les plus sensibles d’entre nous, petit à petit et très lentement mais bon, le sentiment d’empathie voire même la solidarité active qui suit de près ce sentiment. Pour qu’il n’y ait pas de confusion, la solidarité est à la charité ce que l’empathie est à la pitié, c’est-à-dire, sur le plan des émotions, ce qu’un Van Gogh est à un gribouilleur du dimanche.

Ainsi je n’hésite pas à conclure, et estime avoir fait la preuve scientifique, que les pauvres sont indispensables à la société humaine. Il n’est donc pas question de les liquider, malgré l’affirmation de certaines soi-disant « bonnes âmes » voulant éradiquer la pauvreté. Il faut même d’urgence les déclarer d’utilité publique, et les sauvegarder en les inscrivant au patrimoine mondial de l’humanité.

Heureusement, l’observation quotidienne montre qu’ils sont plutôt en voie de développement que d’extinction.

 

Les mêmes qui voudraient faire disparaître les pauvres voudraient aussi se débarrasser des riches en même temps, parfois même avant. Or les riches aussi sont indispensables à l’équilibre écologique. D’abord sans les riches, pas de pauvres, ce qui en soit est déjà un drame. Mais de plus, les riches incarnent un bénéfice psychologique très rare à trouver ailleurs, parce que peu de gens veulent et peuvent l’assumer : ils jouent le rôle du méchant. Là où les pauvres développent l’empathie, les riches nous déculpabilisent. Eux c’est plutôt la médaille du mérite qu’il faudrait leur donner. Si ils arrivent à jouer ce rôle, ce n’est bien sûr pas par abnégation, mais parce qu’ils vivent entre eux, dans des sectes rigides particulièrement fermées, où ce que disent d’eux les non-riches ne les atteignent pas.

Ils apportent aussi plein de bénéfices secondaires.

Par exemple ils ne veulent pas voir disparaître les tigres de Sibérie et les lions d’Afrique parce qu’ils adorent leur tirer dessus depuis leur énorme 4/4. Ce qui permet de protéger ces animaux des méchants (pauvres) braconniers, comme on protège  déjà les poulets en batterie des renards, et les pandas diplomatiques de la famine. Dans le même ordre d’idée, pas de baraque à frites et de boudins en plastique pour enfants sur leurs plages privées, ni de bidons de déchets toxiques sur leurs îles. La Nature leur en est reconnaissante, oubliant gentiment qu’ils sont à l’origine des déchets toxiques et des boudins en plastique qui encombrent le reste du monde.

Ils provoquent régulièrement des guerres et des famines, ainsi que des intoxications environnementales, alimentaires et médicamenteuses afin de pouvoir liquider les produits de leurs entreprises, permettant ainsi de réguler le nombre d’êtres humains sur la terre. C’est le B-A BA de l’écologie bien comprise.

Pour les troupeaux de gnous, il y a les lions. Pour les troupeaux de pauvres, il y a les riches.

Enfin, le bons sens permet de dire que quand les riches deviennent pauvres, les pauvres sont morts depuis longtemps. D’où l’intérêt de les garder le plus longtemps possible. Cela ne devrait pas poser trop de problèmes car leur bonne santé générale par rapport aux pauvres, leur taux de mortalité moindre, leur espérance de vie bien supérieure et les mesures de sécurité entourant les réserves où ils vivent, compensent largement leur faible taux de reproduction.

 

Pour l’instant, je ne me sens pas trop responsable du pauvre en bas de chez moi. Quand j’achète un jean ou un tee-shirt au supermarché du coin, la petite chinoise ou le travailleur esclave d’Amérique du Sud qui les fabriquent sont très loin de moi, et je peux les oublier le temps de céder à la pression des soldes, ou au violent mais bref plaisir  consistant à « acheter quelque chose ».

Et donc à la terrible question : « dis maman, qu’est-ce qui fait le monsieur là sous son carton, à côté de sa bouteille vide ? », je peux encore répondre que c’est à cause de méchants riches, je peux même citer des noms les jours de grande lâcheté.

Mais pour combien de temps encore les pauvres se tiendront-ils suffisamment loin de moi pour que cela soit possible?

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Tous ensemble ou chacun pour soi, la seule alternative ?

par Marie-José SIBILLE

publié dans Cette société - c'est la notre !

Aujourd’hui, le médiateur de la République a publié un rapport qui peut inquiéter : la France souffre de burn-out. Le repli sur ce que certains appellent l’individualisme et d’autres l’égocentrisme est, paraît-il, la norme. Le sentiment d’impuissance aussi, face, par exemple, à des services publics dénaturés, qui remplacent le contact humain par une plate-forme téléphonique ou par l’envoi de courriers ou de mails représentant des fins de non recevoir plus ou moins explicites. Même les plus costauds d’entre nous renoncent souvent à faire valoir leurs droits, ne parlons pas des plus fragiles, ceux qui auraient le plus besoin de la solidarité collective, du moins en apparence, au niveau concret ; les anecdotes sont nombreuses, depuis la femme violentée par son conjoint n’ayant droit à aucune allocation car obligée de fuir son lieu de travail sans préavis, en continuant par les experts juridiques qui décident du sort d’une famille après une heure d’entretien, ou des personnes qui voient leur ressources supprimées du jour au lendemain par un ordinateur incapable de comprendre les détails d’un dossier, pour ne citer que des cas que j’ai rencontrés. Mais ce sont peut-être les puissants qui se cachent derrière des ponts-levis fermés à double tour à la pression du peuple qui en auraient le plus besoin, de solidarité. Car comment peut-on vivre en sachant que l’on contribue à l’affaiblissement des plus fragiles ? C’est une question qui pour moi, à ce jour, est sans réponse acceptable.

Il est dans tous les cas notable que les signes d’une crise collective sont là depuis un moment, et qu’ils apparaissent, en particulier chez les psychothérapeutes et psychopraticiens que nous sommes, sous la forme qu’entraîne l’épuisement psychique exprimé par le burn-out : d’abord par une augmentation massive de l’agressivité et de la violence non régulée, que ce soit chez les jeunes, dans les familles, dans la société ou dans le monde du travail. Mais aussi par une augmentation des phénomènes de repli et d’évitement, à travers la polyaddiction par exemple : la fuite d’un réel devenu insupportable à travers les écrans, les boissons, les drogues, la nourriture grasse et sucrée… Ou encore par les différentes formes de la dépression, avec une augmentation signifiante des phobies relationnelles et sociales, et même du suicide, en particulier dans les âges que l’on aimerait croire à l’abri de ce phénomène, comme la petite enfance.

Mais des solutions existent. Le mouvement que les sociologues ont nommés les « créatifs culturels » en fait partie : ce sont des personnes qui croient – naïvement ? - qu’en se transformant elles-mêmes elles peuvent faire avancer les choses. N’est-ce pas la croyance du psychothérapeute, du psychopraticien tel qu’il est défini depuis des années dans nos lieux d’échanges collectifs ? C’est en tous cas une alternative acceptable pour sortir du sentiment d’impuissance d’un côté, et de la tentation totalitaire de l’autre, et je ne parle pas de l’épouvantail FN en pointant ce risque.

C’est là que le bât blesse vraiment beaucoup avec la loi hôpital 2010. Non pas, en soi, que je sois opposée, bien au contraire, à la mise en relation positive des psychothérapeutes avec les institutions publiques et universitaires. Mais le danger majeur que l’on nous agite, celui des charlatans, me paraît mineur à côté de celui que je ressens, moi comme d’autres, majeur : celui de considérer qu’un savoir extérieur, même de qualité, peut remplacer le long cheminement intérieur et interindividuel qui a formé le psychothérapeute tel qu’il se définissait avant la loi. C’est un épouvantail de plus, agité pour faire peur aux petits oiseaux, pour qu’ils ne viennent surtout pas picorer dans les champs réservés par certains.

La clinique devrait pouvoir rassembler tout le monde, en tous cas tous les gens de bonne volonté[1] : les jeunes praticiens formés par l’université peuvent se rendre compte de l’impuissance qui est la leur au moment d’être en relation thérapeutique avec une personne puisqu’ils n’ont rien expérimenté de ce qui fait le cœur du métier, que ce soit en terme de relation, d’expérience intérieure, ou de méthode thérapeutique ; les artisans formés tels des compagnons du devoir à travers leur propre transformation peuvent se rendre compte que des cadres théoriques importants peuvent être transmis par l’université, en particulier à travers la transmission de tous ceux qui ont existé avant nous dans ce champ d’expérience, et aussi une certaine humilité, une ouverture sur la pluralité des disciplines utiles dans le champ de l’humain, une conscience de la fragilité du savoir et de sa mobilité.

Malheureusement, au lieu de rassembler tout le monde dans un même élan d’humilité pour apprendre les uns des autres, la clinique devient trop souvent à son tour un champ de bataille dont les armes et les boucliers sont les différentes méthodes ou manières de penser, présentées chaque fois comme étant la plus nouvelle, la plus meilleure, la plus universelle, la plus scientifique, et j’en passe.

C’est pour essayer d'éviter cela que je définis ma pratique comme Psychothérapie intégrative.

Pour en revenir au constat social, certains peuvent penser que les créatifs culturels tombent justement dans le piège de l’individualisme. Ceux-là imaginent que la collectivité, c’est « tous ensemble » derrière le dernier maître à penser, ou derrière le dernier mot d’ordre du dernier parti politique en date. Tant que ce sera cela la collectivité, je préférerai toujours la solidarité ponctuelle entre créatifs culturels, et l’association, ponctuelle ou régulière, en vue de défendre des valeurs communes.

Alors, bon courage chers créatifs culturels, pour transformer votre vie en œuvre d’art,  et vivre votre bonheur personnel non comme une île où se réfugier - on ne sait jamais, il y a peut-être des volcans ou des centrales nucléaires qui se cachent dans votre île - mais comme une île faisant partie d’un archipel, où tous ont investi pour construire des ponts, des barques ou simplement des radeaux pour joindre les rives les unes aux autres.



[1] Voir à ce sujet « l’appel des appels », qui regroupe de nombreuses bonnes volontés et consciences ouvertes dans le champ de l’humanisme.

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