Aujourd'hui je voudrais vous parler d'une petite phrase que me répétait depuis l'âge de trois ans, avant même que j'aille à l'école, mon institutrice de grand-mère : « le masculin l'emporte toujours sur le féminin ». Je me rappelle de mes révoltes d'adolescente contre cette règle, comprenant toute la perversion de cette injonction grammaticale, cachant sous la banalité de la répétition la mise en place d'une pyramide de pouvoir au sommet masculin et à la base féminine qu'il fallait apprendre par cœur le plus rapidement possible. L'état est masculin et jusqu'à il y a peu, dans les courriers officiels, le ministre était enceinte et l'ambassadrice n'était que la femme de l'ambassadeur, sauf dans le milieu de la Haute Couture.
N'est-ce pas Madame la Colonelle ?
L'écriture inclusive est un champ d'expérimentation qui parle de liberté et de créativité. Pourquoi déclenche-t-elle une telle passion ? C'est une bonne question, qui concerne les mécanismes du pouvoir. Et je ne peux m'empêcher de faire le lien avec le combat de la République Française contre les langues régionales, combat parfois très brutal, qui a traumatisé des générations d’enfants.
La langue n'est jamais figée, elle évolue, et il ne viendrait à personne l'idée de parler aujourd'hui comme le faisait Villon dans sa « Ballade des Dames du temps Jadis ».
L'étudiante désignait il y a quelques siècles une prostituée qui allait amuser les étudiants. Par contre les autrices étaient bien des auteurs féminins. Il a été banni par des années de lutte des hommes et des Académies qui considéraient que l'écriture féminine n'avait pas lieu d'être nommée, et ne pouvait concerner que le journal intime et la lettre à l'amant ou à la fille.
Que ceux pour qui tout a déjà été dit et écrit, que celles pour qui il ne faut pas toucher une ligne de la lettre du texte, retournent s'enfermer dans leur grotte avec leurs vieux grimoires ou leurs textes sacrés inviolables (eux au moins). Et si l'écriture inclusive vous paraît lourde et un rien démonstrative, moche visuellement et difficile à encaisser par l'oreille, tant pis. Elle ne sont jamais très belles les longues marches libératrices.
Mais elles sont porteuses d'une vitalité réjouissante.
Et à l'arrivée nous attendent la créativité, l'ouverture de nouveaux horizons et surtout de nouvelles humanités.
« Le masculin fait le neutre, on n'a pas besoin d'ajouter des points au milieu des mots ».
Emmanuel Macron, octobre 2023,
Président de la république.
« Peut-être pas des points au milieu des mots, mais des points sur les i, oui ! »
Claire Sibille, novembre 2023,
Française inclusive.
Ceux qui me lisent régulièrement le savent, je suis une obsédée de l'étymologie, car elle permet de se relier à la racine d'un mot, et de voir l'arbre qu'il est devenu, et parfois de rajouter sa propre branche.
Neutre (Dictionnaire historique de la langue française d'Alain Rey) :
du latin « neutre » = « aucun des deux », et en particulier « ni masculin, ni féminin ».
Donc le masculin ne peut pas « faire le neutre » et notre président dit une immense bêtise. C'est l'explication la plus sympa.
L'autre est d'imaginer que pris dans une dynamique de pouvoir patriarcale (pléonasme je sais), il est en pleine crise d'Oedipe et refuse la castration symbolique, comme nous l'ont inculqué des générations de psychanalystes.
Il « nous fait » une petite crise de toute puissance.
Bon, ce n'est ni la première, ni la plus grave.
Mais c'est pas pour autant qu'il faut laisser passer.
La neutralité me crispe, elle est une illusion encore plus grande que l'objectivité, surtout quand on lui adjoint l'adjectif « bienveillante ». Je préfère, en particulier dans mon métier de psy, l'engagement empathique et la distance juste.
La neutralité « faite » par le masculin, c'est à peu près comme Total revendiquant sa neutralité carbone... Vous bousillez d'abord tout ce qui passe à portée, dans notre cas les tentatives des féministes de ne plus subir la fameuse phrase "le masculin l'emporte toujours sur le féminin" Ensuite vous plantez quelques arbres pour faire joli, ou vous filez quelques millions de dollars à des organismes obscurs qui ont l'habitude de fermer les yeux (normal dans l'obscurité).
Cela fait des années que j'utilise l'écriture inclusive. J'en ai pas mal parlé dans des articles de blog pour quelques centaines de lecteur.ices fidèles, c'était avant qu'Instagram n'apparaisse dans ma vie d'artiste.
Je l'utilise avec liberté, quand je la trouve adaptée, car si la langue est une règle, voir une loi, la liberté de l'interpréter doit être totale.
Il y a donc des jours où je vais beaucoup utiliser l'écriture inclusive, et d'autres moins, voire pas du tout, et ça me va bien comme ça (et en plus tout le monde s'en fout).
Depuis que j'écris j'invente des mots qui n'existent pas dans le dictionnaire pour combler le manque d'un sentiment.
Par exemple, "néantigène", créateur de néant, pour les sidérations qui me prennent face à l'absurdité des hommes,
ou encore "néguempathique", pour exprimer le contraire de l'empathie, la coupure radicale avec l'autre, celle qui permet de le transformer en objet de plaisir ou de crime.
Ces mots n'existent toujours pas sur
Google.
Mais après tout, « féminicide » a dû attendre 2015 pour entrer dans le dictionnaire, soit quelques milliers d'années de meurtres de femmes, sans nom pour les désigner.
Quelque chose peut donc exister sans être nommé.
À vrai dire, des tas de choses, y compris vivantes, existent qui n'ont pas de nom dans le langage des êtres humains.
C'est une qualité que j'ai gardé de l'enfance, inventer des mots.
J'ai un carnet plein des mots inventés par mes propres enfants, tellement poétiques et amusants à la fois.
Alors, quel mot allez-vous inventer aujourd'hui?