LES ENFANTS SYMPTÔMES DE LA RÉPUBLIQUE
LES ENFANTS SYMPTÔMES DE LA RÉPUBLIQUE
Deux infos m’ont fait monter les larmes aux yeux cette semaine, en dehors de l’urgence écologique, je précise car ça c’est tous les jours…
- La première c’est d’apprendre que la cagnotte pour le policier qui a tué Nahel a dépassé le million d’euros alors que celle pour la mère de Nahel est autour de 100000 euros. Ça va peut-être bouger, j’en ai conscience, et ce n’est que de l’argent, mais c’est surtout un symbole.
- La deuxième c’est quand le Président a dit que tout ça c’était la faute aux réseaux sociaux et aux jeux vidéos. Un commentaire d’une telle incongruence, que je ne peux que l'imaginer volontaire.
Je m’explique, avant de lire des commentaires disant que je soutiens les pillages ou que je ne pense pas qu’une police humaniste et républicaine est indispensable dans une société. Ou encore, surtout en tant que psy, que je ne vois pas les dégâts potentiels et réels des objets connectés.
Je n’ai pas voté pour Monsieur Macron. J’avais déjà cédé auparavant à l’appel au Front Républicain face au pire. Cette fois-ci je ne l’ai pas fait, et je ne le regrette pas. Je m’étais dit que face au pire, il était un autre pire, plus socialement comestible, plus propre sur lui en apparence, mais il représentait pour moi, et représente de plus en plus à mon grand regret, un pire inacceptable, en particulier en termes de destruction de la nature, de perte de la démocratie et d’injustice sociale. J’avais raison. Et ça, par contre, je le regrette. C’est pas toujours marrant d’avoir raison.
Quand il a fait dissoudre les Soulèvements de la Terre par l’intermédiaire de son bras armé, il a franchi un pas de plus, suivi de près par l’annulation de la possibilité pour Anticor de se porter partie civile. Depuis quelques mois planait sur la France l’attente du drame. 14 Manifestations inutiles, je les ai toutes faites, sauf pour sentir l’humanité autour de soi, délires paranoïaques bien orientés contre les « éco-terroristes » dans une totale inversion des mots. Comme dans la novlangue du roman "1984", la guerre est devenue la paix, et ceux qui protègent la nature deviennent des éco-terroristes alors que ceux qui la détruisent avec acharnement, en causant la mort de beaucoup d’hommes, de femmes et d’enfants au passage, sont des pourvoyeurs d’emploi et des bienfaiteurs de l’humanité.
Le drame aurait pu être n’importe quoi, mais c’est un gamin de 17 ans qui a servi de déclencheur. L’injustice sociale a doublé, de très peu, l’urgence climatique mais on est en France, encore un peu protégée des catastrophes environnementales.
Ce qui me frappe le plus chez les gens qui nous gouvernent, c’est la force du déni, j’en parle souvent pour d’autres sujets. Car le déni me préoccupe depuis l’enfance (même si je ne le formulais pas de cette façon), et encore plus depuis que je suis psy. Comme je ne pense pas que tous nos dirigeants soient sociopathes, du moins pas au sens psychiatrique du terme, j’imagine que quand ils se regardent dans la glace le matin ils trouvent de bons arguments pour justifier leur politique. Comment est-ce possible ? Si j’ai un jour la réponse à cette question, la réponse profonde, ontologique, j’aurais réussi ma vie ! Pour l’instant cela m’échappe. Malgré toutes les analyses sociologiques, psychologiques, littéraires ou poétiques, il y a en moi un refus d’acceptation, de compréhension profonde de ce déni.
Pourquoi nourrir toujours plus les portefeuilles de gens financièrement obèses ? Pourquoi détruire la planète avec autant d’acharnement ? Si ces gens étaient des gamins de banlieue, ils seraient déjà en tôle pour destruction du bien public et racket au profit des parrains. Mais ils sont nés du « bon » côté de la société, alors c’est eux qui mettent les gens en tôle, pour bien moins. Cette aberration logique, si répandue dans les gouvernements de notre planète, me pèse de plus en plus. Nous sommes en train de rejoindre le pire du pire à grandes enjambées. Et moi, comme beaucoup d’autres, je regarde l’étendue du désastre. Par chance, je fais partie des personnes qui ont des ressources pour pouvoir être protégée et ne pas me sentir totalement impuissante. J’ai même beaucoup de moments de bonheur, privilégiée que je suis. Mais la tristesse et la colère sont là.
Ce gamin est mort parce qu’un policier, pour des raisons qu’il ne m’appartient pas de juger, lui a tiré une balle dans la poitrine. J’essaie de m’imaginer. Quelqu’un s’enfuit, j’ai un revolver à la main, j’ai très envie de tirer mais je ne le fais pas. Pourquoi ? Parce qu’il y a tout un système culturel et éducatif, mais aussi une réalité ontologique, une justice intrinsèque, qui me protège de cette pulsion, ancrée dans une émotion légitime. Ouf. Pas de cadavre. Et moi en tant que flic je reste du bon côté, celui des forces de justice et de paix (gardiens de la paix quand même, c’est un des noms !), et je peux rentrer tranquille chez moi plutôt que de finir en taule.
La mort de ce gamin est donc le signe d’une rupture sociétale complexe, qui s’ancre depuis des années dans la colère populaire face au mépris et à l’indifférence, bien d’autres l’ont dit et analysé ces derniers temps, et le passage à l’acte de ce policier n’en est qu’un symptôme.
Acceptons que la mort de ce gamin est un fait complexe, bio-psycho-social. Ainsi que ses conséquences. En mettre la responsabilité sur les jeux vidéos, les réseaux sociaux ou le manque d’éducation de mères solo débordées et abandonnées à leur sort est d’une violence terrible.
En thérapie familiale on appellerait le flic auteur du passage à l’acte, comme sa jeune victime, des enfants symptômes. Ce sont eux qui font les conneries, tombent malades ou finissent par mourir, mais les responsables sont les parents. Et les parents ce ne sont bien entendu ni la mère de Nahel, ni même les parents ou la hiérarchie du flic, mais bien notre gouvernement et notre culture actuelle.
Quand on m’amène un enfant symptôme en thérapie, je mets tout en œuvre pour calmer l’enfant, mais je ne perds jamais de vue les parents. La plupart acceptent de reprendre le flambeau du travail à faire.
Ce policier, et ce gamin, font partie parmi bien d’autres des enfants symptômes d’une démocratie qui ferait bien d’aller en thérapie. Mais pour aller en thérapie, il faut sortir du déni, de la culture du pouvoir et de l’accaparation.
Nos dirigeants en sont très loin.