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Petites chroniques littéraires au coin du feu…

par Claire Sibille

publié dans Des livres profonds ... comme une psychothérapie !

Je n’emploierai pas le mot « critique », dont l’étymologie « qui décide du sort de quelqu’un ou de quelque chose après un jugement » ne me plaît pas du tout !

La chronique rappelle le temps qui passe et qui peut changer le cours des choses et des sentiments, un mot subjectif qui me va mieux… sauf dans la maladie !

 

Cinq parmi les romans lus les derniers mois. Une déception, quatre coups de cœur. Quatre écrivaines, un écrivain. Deux chroniques et trois livres à lire.

 

Le Pays des Autres de Leila Slimani (mars 2020)

 

Je me faisais une joie de lire ce roman à la fois parce que j’ai aimé Chanson Douce, mais aussi car l’histoire du Maroc dans les années 40/50 concerne la moitié maternelle de ma famille. J’en ai pourtant vite abandonné la lecture car même littérairement irréprochables, j’en ai eu vite marre de ces bêtes harcelées, maltraitées, de ces femmes soumises et perdues dans leurs voiles, de ces enfants maigres qui reçoivent une baffe pour un oui pour un non, de ces hommes qui se vengent sur les enfants, les femmes et les bêtes du travail abrutissant, du repos inaccessible et de leurs propres erreurs de jugement. Il faudrait s’attacher pourtant à ces hommes comme s’ils étaient sympathiques, ce que leurs coups et leur violence empêchent. Et même si j’ai ressenti une forme d’empathie pour leur histoire, cela n’a pas suffi. Même le principal personnage féminin, même la petite fille ne m’ont pas accrochées. Trop victimes peut-être, trop décrites, sans désir intérieur bien identifié, sans même trop d’instinct de survie. Alors j’ai laissé tomber, juste feuilleté la fin pour voir si une lueur d’espoir autre que les arbres fruitiers pouvaient venir alléger la charge, mais je n’ai rien trouvé. Alors je suis allée m’acheter un kilo d’oranges en pensant que le soleil avait peut-être une peu trop "tapé sur la tête" de l'auteure, comme ils disent là-bas…

 

Les Impatientes de Djaïli Amadou Amal (Septembre 2020)

 

Paradoxalement ce roman très dur sur la condition féminine au Sahel m’a enthousiasmée. Le souffle épique d’un Laurent Goudé se marie à la puissance émotionnelle d’une écrivaine très en lien avec la profondeur de l’intime, en particulier féminine. Comment chacune des trois héroïnes du livre va-t-elle trouver la porte de sortie de ce patriarcat étouffant, ce patriarcat qui appuie sur la culture et la religion un simple désir de domination absolue, je vous le laisse découvrir car ce serait trop méchant de vous spoiler la fin de chaque histoire. Mais si vous arrivez à dépasser la violence insupportable, et le talent de « griotte », de conteuse, de l’auteure vous donne tous les moyens de le faire, vous ne serez pas déçu.es. Juste parfois quelques mots incongrus dans ce contexte, comme le terme « macho » a heurté une lecture par ailleurs impossible à lâcher. Indispensable à lire pour les hommes et les femmes qui veulent comprendre de l’intérieur les systèmes de domination mis en place par tous ces hommes qui ont peur des femmes ou qui les ignorent. Mais un des atouts maîtres du livre est de décrire comment la plupart des femmes elles-mêmes entretiennent, valident et soutiennent ce système et y entraînent leurs filles, avec soumission, résignation, rage impuissante mais trop souvent avec une conviction enracinée dans l’instinct de survie, un peu comme certains prisonniers, certains esclaves, deviennent des « kapos » au service du chef pour essayer de sauver leur peau dans un monde totalement et profondément injuste. Tous les personnages féminins sont attachants, même les pires, c’est un exploit. Mais la subtilité de l’auteure lui permet de mettre en scène quelques hommes arrivant à tourner le dos à cette oppression qu’ils subissent aussi tant qu’ils restent « les fils de ». Car l’aliénation patriarcale ne maltraite pas que les femmes. Il est essentiel de le rappeler.

 

Enfin, plus brièvement :

  • Un incontournable premier roman, « Ce qu’il faut de nuit » de Laurent Petitmangin (Août 2020) sur les difficultés de la relation entre un père et ses fils quand la mère n’est plus là pour colmater les brèches. Un beau roman noir et social, émouvant et réaliste qui arrive à transcender un réel pas facile par la puissance et la douceur des émotions partagées, un beau livre sur la naissance et le développement de l’empathie.
  • Un incontournable féministe, au sens le plus basique de la survie des femmes dans un monde de brutes, en particulier sexuelles : « Le consentement » de Vanessa Springora (janvier 2020), qui a aussi le mérite de faire descendre de son piédestal auto-construit le très petit milieu intellectuel parisien et ses icônes de plastique.
  • Un incontournable humaniste, « Une farouche liberté » de Gisèle Halimi (août 2020) dans lequel le combat féministe de cette personnalité hors-normes s’inscrit dans une soif de justice universelle qui nous fait croire en un monde meilleur, et surtout en la force et l’efficacité de l’activisme intelligent. Ne jamais baisser les bras, s’agripper au combat comme un chien à son os et il en naîtra quelque chose de mieux, un beau témoignage d’espérance, universel et atemporel.

 

Bonne lecture, qu’elles vous encouragent à écrire vous aussi. Tiens, puisque je n’ai pas écrit de nouvel article pour les vœux annuels, ceux des années précédentes étant toujours résolument d’actualité, ce serait ce que je vous souhaite pour l’année à venir, tellement l’écriture est source de résilience et même de guérison des blessures individuelles

Un (tout) petit rayon de ma bibliothèque.

Un (tout) petit rayon de ma bibliothèque.

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Le choc d’une chanson oubliée ou pourquoi l’art est un produit essentiel

par Claire Sibille

publié dans Cette société - c'est la notre ! , Le quotidien c'est pas banal !

Le choc d’une chanson oubliée

Ou pourquoi l’art est un produit essentiel

Billet rapide d’humeur engagée

(Pour écouter la chanson en même temps, lien ci-dessous) 

Melocotón de Colette Magny m’a été balancée dans les oreilles de manière inattendue lors d’un transit sur un réseau social. L’émotion est venue d’un coup et les images en foule, mes parents dansent, ma mère chante, la joie de vivre.

Juste après la nostalgie elle est venue d’ailleurs, la joie. Et la certitude que l’art change le monde en mieux. C’était un jour avant que le gouvernement ne décide que l’ouverture des grands magasins est plus importante que celle du théâtre où je rêvais d’aller pendant les fêtes. Sans aucune justification raisonnable crédible.

Or si je dois me souvenir de ce qui m’a soutenue en 2020, l’art et la création sont essentiels. Avec la Nature, grande artiste ou co-créatrice je ne sais pas encore très bien. Et les liens intimes qui nécessitent eux aussi un renouvellement permanent. L’art et la création, la Nature et l’intimité, voilà quels ont été mes champs d'expression et de ressourcement cette année. Pourquoi alors ce sentiment que les pouvoirs en place dans le monde cherchent à détruire les trois ? Ou en tous cas les mettre bien au bout de la liste des priorités essentielles ? Paranoïa et complotisme galopants ? Ou simples interrogations liées à l’observation ?

Il a fallu sauver Noël quand même car la famille traditionnelle reste un pilier fort des pouvoirs en place, un lieu de défoulement qui sert d’exutoire mesuré, contenu, pas comme le réveillon de la Saint Sylvestre et ses débordements carnavalesques incontrôlables. Un exutoire permettant de faire passer les décisions les plus ahurissantes en toute sécurité, en espérant que le défoulement autour de la dinde dans des joutes oratoires entre générations sera suffisant pour calmer les esprits.

En déplacement, j’ai regardé comme je le fais quelques fois par an le journal télévisé. J’ai vraiment été scotchée sur ma chaise pendant quelques minutes avant de trouver la force d’appuyer sur le bouton rouge de la télécommande. Vive le retour de l’ORTF, l’exaltation de la pensée unique et la pédagogie débilitante pour finir de convaincre les récalcitrant.es. A un moment, quand une « experte » expliquait « il faut être patient mais tout le monde finira bien par être vacciné » avec force détails et mouvements des bras, j’ai vraiment cru que j’avais 5 ans ! Et les personnes interrogées dans les micros-trottoirs ? Pas une voix en-dehors des clous, même pas un vieux râleur ou une jeune rêvant de révolution (ou l’inverse).

Alors mieux vaut écouter Melocotón et se souvenir des belles choses.

Mieux vaut écouter Melocotón et soutenir les belles choses.

Quelle voix, non mais quelle voix ! Et des tas d'autres superbes chansons, en particulier une reprise bouleversante de "Stranger fruit" de Billie Holliday.

Une artiste trop en-dehors des clous féminins pour son époque.

Une artiste trop en-dehors des clous féminins pour son époque.

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